“Qu’est-ce t’en sais? T’es scientifique, l’équitation ça ne s’apprend pas dans des bouquins!”
Cette phrase-là je l’entends assez régulièrement. On entend aussi des versions assez similaires du type “Un scientifique ça peut pas comprendre le cheval en passant du temps dans son labo”. Souvent en réaction à des études publiées qui soulèvent des questions éthiques fondamentales liées à l’utilisation des chevaux en général, à des méthodes populaires (comme le join up, le recours à l’hyperflexion en dressage, le recours à l’immersion pour faire disparaitre des réactions de peur, l’existence-même de certaines disciplines), du matériel ou la façon dont on les gère (la vie en box, notamment). Donc “c’est normal que les résultats montrent ça, ils ne comprennent pas le cheval”.
Comme si “scientifique” se limitait au stéréotype du professeur un peu pâle par manque de soleil, asocial qui ne sort jamais de son labo.
Bref, on pense que pour voir à quoi ça ressemble un scientifique, y’a juste à regarder un épisode du Big Bang Theory.
Donc si on continue dans cette optique, un ingénieur n’y connait rien aux avions s’il n’a pas une license de pilote, ou rien aux navettes s’il n’est pas cosmonaute. Et pourtant - les gars, dans les cockpits, ils sont bien contents d’avoir des ingénieurs au bout du fil. Et en plus, eux aussi, ils ont fait des études (maths sup’, par exemple) pour avoir le droit de piloter des engins qui coûtent des millions de dollars.
Et votre chirurgien, avant de vous ouvrir, il n’a pas eu son diplôme uniquement en se faisant la main sur des patients. Il a passé lui aussi des années dans des bouquins, avant d’avoir le droit d’approcher un vrai patient, vivant, avec un scalpel.
Scientifiques OU cavaliers?
L’ISES (International Society of Equitation Science), est une société qui rassemble des cavaliers. Oui, oui! Des cavaliers. Des “vrais” gens de chevaux. Et des scientifiques, aussi. Ethologues, vétérinaires, chercheurs en biomécanique, sciences cognitives, psychologie (parce que comprendre ce qui se passe dans la tête du cavalier, c’est important aussi) ou médecine sportive.
Les scientifiques et les cavaliers sont les même personnes.On trouve des cavaliers de loisirs, des cavaliers de dressage (Hillary Clayton, experte en biomécanique et qui a également publié la majeure partie des études sur l’action des mors, est une médaillée de bronze, argent et or de la fédération de dressage américaine), des entraineurs (courses, concours complet, CSO, et j’en passe), des éleveurs. Des coach au niveau olympique.
Soyons clairs - ces scientifiques, mélangés à un troupeau de cavaliers, vous seriez incapable de les distinguer. Même polos, même pantalons. Crottin et morceau de paille coincés sous les bottes (sauf en congrès, on se lave pour y aller, quand même).
Ce qui les distingue, c’est qu’ils ont cherché à en savoir plus. À répondre à la question “pourquoi mon cheval ......(mettez ce que vous voulez après)”, mais sans le carcan de l’anthropomorphisme, sans le poids de la tradition, sans le filtre de notre perception.
C’est comme ça qu’Hillary Clayton a contribué à étendre nos connaissances sur la biomécanique derrière le rassembler du cheval; Que Paul McGreevy a démontré que cravacher un cheval en courses ne contribuait en RIEN à augmenter ses chances de le voir placé dans les trois premiers (alors que la qualité de l’entraineur et l’origine du cheval, oui).
Et quand ces scientifiques, lourds de leur expérience en recherche, rencontrent des écuyers du Cadre Noir (comme ce fut le cas lors du congrès de l’ISES à Saumur en 2016), ou des cavaliers curieux d’en savoir plus, on atteint un moment de magie.
Et on pose des questions fondamentales.
OUI - Ce sont parfois des questions qui dérangent.
“Si les airs au-dessus du sol ne peuvent être obtenus sans entrainer une tension psychologique chez le cheval, peut-on continuer à les demander?” (probablement un des commentaires clés du congrès ISES 2016 émis par la Dre Christensen après une reprise du Cadre Noir)
“Si certaines embouchures ont un tel potentiel pour blesser le cheval, pourquoi demander à ce qu’elles soient obligatoires dans certaines disciplines?”
“Le temps est-il venu d’abaisser le plafond du prix que le cheval doit payer pour que son cavalier atteigne sa minute de gloire?” (voir l’article d’Andrew McLean)
Ces questions ne sont pas émises par des scientifiques n’ayant jamais approché un cheval. Mais par des cavaliers qui connaissent les émotions ressenties lorsqu’on monte un pur-sang en course, l’impression de légèreté lorsqu’un cheval passe du passage au piaffé par un simple resserrement de nos doigts.
Ces questions sont nécessaires - mais ne remettent pas en cause l’équitation. Elles émettent un questionnement sur ce qui permet au cavalier de continuer à se dépasser, tout en respectant sa monture.
Ce dépassement, il peut aussi se trouver sans chercher à aller toujours plus vite, à sauter toujours plus haut, à trotter en levant les pattes de plus en plus haut au point qu’on en vient à détruire cette allure (et les ligaments suspenseurs).
Pour y répondre à ces questions, et pour améliorer l’équitation, on a besoin de connaissances théoriques.
Ceux qui me connaissent le savent, j’ai un problème avec des notions telles que équitation naturelle ou équitation éthologique. La dernière parce qu’une équitation respectueuse des besoins du cheval et mettant l’accent sur la légèreté des aides est de toute façon éthologique. La première parce que l’équitation n’est pas naturelle. En fait:
Rien ne prédispose un cheval à avoir un cavalier sur le dos et à le laisser prendre le contrôle de sa locomotion et de sa posture.
Rien ne prédispose un chien à tolérer une taille de griffes sans broncher ou à marcher sans tirer sur sa laisse.
Rien ne prédispose un orque à accepter une prise de sang en grimpant sur une plateforme semi-émergée
Tous ces comportements, bien loin de ce que l’animal peut vivre dans son environnement naturel, ne sont possibles que parce que les dresseurs / soigneurs ont correctement appliqué les principes d’apprentissage.
Certains, plus doués que les autres, y arrivent sans avoir la définition correcte d’un renforcement négatif ou d’une punition positive. Je suis sure qu’un pilote amateur pourrait maintenir son avion en l’air sans être capable de définir les lois de la physique qui s’appliquent pour que l’avion ne décroche pas. Mais je suis sûre qu’à choisir, vous prendriez le pilote ayant reçu la formation théorique en plus de ses heures de vol.
Les mêmes exigences s’appliquent lorsqu’on vous demande de dresser un animal, de façon éthique, et efficace. Cette théorie de l’apprentissage, ces connaissances en éthologie, elles s’acquièrent dans des livres, des formations qui n’impliquent pas qu’on mette la main sur un cheval.
Elles vous permettent de comprendre pourquoi un cheval fait un écart au 16e passage alors qu’il est passé 15 fois sur le même chemin.
Elles vous permettent de comprendre pourquoi confronter un cheval à sa peur sans le laisser s’échapper est une très mauvaise idée si vous avez un minimum de respect pour votre monture.
Elles vous permettent de comprendre pourquoi cravacher un cheval à l’arrêt devant un obstacle pour “corriger” un refus ne lui apprend pas à sauter correctement.
Et enfin,
Elles vous permettent de comprendre pourquoi des heures et des heures de travail en longe sans étriers sont essentielles pour pouvoir un jour espérer délivrer un message clair au cheval.
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