top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurMarine Cassoret, PhD

Equitation et acceptabilité sociale


Credit photo: Marine Cassoret (tous droits réservés)

Belle coïncidence que ces deux incidents produits dans la semaine du congrès de l’ISES : D’une part avec l’élimination d’un grand nom du dressage pour cause de sang sur les flancs du cheval. Puis la manifestation surprise lors des championnats FEI, ou deux militants sont soudainement apparus sur le terrain – non sans rappeler des manifestations similaires devant les abattoirs et dans les arènes du sud de la France ou dans les parcs de Seaworld. Ces incidents illustraient parfaitement (1) la problématique soulevée par l’utilisation du cheval et la frustration ressentie par beaucoup que le milieu équestre tarde encore trop à écouter les recommandations des scientifiques pour améliorer le bien-être du cheval; et (2) les risques que court l'industrie si elle continue de prendre pour acquis l’acceptabilité sociale de l’utilisation qui est faite des chevaux.


Andrew McLean rappelait d'ailleurs pas plus tard que la veille de l’élimination de Dujardin, à quel point ce type d'incident risquait à long terme de rendre la survie des disciplines équestres difficile. Dans sa présentation sur les changements apportés au dressage des éléphants via la fondation HELP, il rappelait comment le sort des éléphants avait changé via l'apparition sur les réseaux sociaux de vidéos montrant les méthodes traditionnellement utilisées pour les dresser. Ces vidéos ont changé les habitudes des touristes et contribué à la dissémination de l’idée que des éléphants ne devraient plus être utilisés du tout. "Sans pour autant considérer si les centres où certains sont gardés, non travaillés et nourris de bananes et de gâteries par des touristes à longueur de journée, obèses et sans avoir la possibilité de bouger, était vraiment une belle amélioration" précise McLean. Cependant, il soutient qu’une "utilisation éthique des éléphants est possible et parfois supérieure à la technologie : Dans les parcs nationaux, les éléphants ont montré leur supériorité pour patrouiller en silence, sans déranger la faune et sans avoir besoin d'ouvrir des routes pour laisser passer des véhicules, contribuant à un meilleur contrôle du braconnage et à finalement se préserver eux-mêmes"(2). Le travail exemplaire de McLean depuis plusieurs années a démontré que l’utilisation du renforcement positif ouvrait la porte à un dressage plus éthique des éléphants en passant par l’éducation des mahouts qui pourrait contribuer à faire survivre cette relation avec l’animal.



On pouvait voir le parallèle avec l’utilisation du cheval, et ce dès les premières heures de la journée de démonstration pratique ou la police montée était venue présenter ses chevaux et expliquer leur fonction. Les chevaux gardent encore un avantage notamment dans la gestion des foules, la relation entre la police et le public, ou la recherche de personnes disparues. Silencieux, « tout-terrain », les chevaux peuvent intimider tout comme ils peuvent aider à générer un dialogue. Plus facile, à cheval, d’entendre un gémissement dans les buissons. Plus facile aussi d’attirer un enfant perdu hors de sa cachette.


Mais qu’en est-il d’une industrie dont la fonction n’est pas directement d’améliorer la société humaine ou de protéger l’environnement? À en voir les quelques commentaires recueillis sur la manifestation aux championnats FEI (et j’ai vite arrêté de les lire parce qu’après tout j’avais prévu mieux - une séance de clicker avec un de mes chevaux), le monde équestre n’a pas encore saisi les conséquences de son immobilisme passif face à des connaissances scientifiques qui pourraient considérablement améliorer le bien-être du cheval de sport ou de loisir. Qui se rappelle des réactions face à la suggestion de contrôler l’ajustement des muserolles à la sortie des carrières de dressage (à grand coups d’excuses toutes aussi ridicules les unes que les autres)? Quelles seraient ces réactions si on demandait de contrôler aussi la tension des rênes et l’utilisation des éperons? La disparition de ces éperons et des cravaches ou au minimum, une utilisation beaucoup plus restreinte?


Ce qui est important de comprendre, c’est que l’utilisation du cheval ne sera pas décidée uniquement par les acteurs de l’industrie équestre. Toute activité, toute politique, fait l’objet de ce qu’on appelle un permis social (1), à savoir une acceptation par la société en général de certaines pratiques comme étant acceptables ou légitimes (c’était d’ailleurs un autre sujet de conférence lors du congrès).


Ce permis social n’est pas gravé dans la pierre : Qu’on considère des sujets tels que les droits et l’acceptation de la communauté LGBT, l’accès à l’avortement, la protection de l’environnement, le bien-être animal en passant par le rôle de la religion, et on se rend compte que la société a considérablement changé en une génération. Et ces changements ne sont pas uniquement le résultat des acteurs directement concernés.


L’équitation n’est pas une exception. La validité éthique de notre utilisation d’un animal uniquement dans un but de loisir et de compétition n’est pas déterminée exclusivement par la population cavalière, mais par la société entière.


Je rappellerai ici que l’équitation reste une activité dangereuse (30 fois plus que la moto), contribuant à un fort pourcentage des décès chez l’enfant lié à une pratique sportive (4); que la majorité des chevaux qui finit à la boucherie avant l’âge de 7 ans l’est pour cause de comportement et non pour cause de santé (4); que les tensions couramment enregistrées dans les rênes, toutes disciplines confondues, excèdent largement le seuil estimé de douleur(7); que l’utilisation de la cravache excède trop souvent une force acceptable et est souvent la cause de réactions dangereuses du cheval sans pour autant contribuer à une amélioration de sa compréhension ou de sa performance(3,7); et que la majorité des muserolles sont ajustées au point de dépasser la force nécessaire pour faire un garrot(5,6). Toutes ces données, fruits d’années de recherche, ne peuvent pas être ignorées dans le but de préserver le statut quo et notre concept de performance sportive.


À l’heure où toute séance d’entrainement peut être filmée puis diffusée sur les réseaux sociaux en quelques secondes, il est temps de sérieusement tendre l’oreille et de prendre en compte les recommandations des scientifiques pour une meilleure considération de la nature du cheval et une application correcte des lois de l’apprentissage – afin que les organisations sportives puissent garder la confiance de la société comme garants du bien-être cheval.


Traiter les activistes d’idiots qui n’y connaissent rien contribue juste à nous maintenir la tête dans le sable en espérant que rien ne bouge.



Marine Cassoret, PhD


SOURCES :


  1. Julie Fiedler (2019) Informing a social license to operate communication framework: Attitudes to sport horse welfare. XVe congrès international de l’ISES, Université de Guelph, ON, Canada 19-21 aout 2019.

  2. Andrew McLean (2019) Learning theory across species. XVe congrès international de l’ISES, Université de Guelph, ON, Canada 19-21 aout 2019.

  3. Kirstin Spencer (2019) Evaluation of whip use in british show-jumping. XVe congrès international de l’ISES, Université de Guelph, ON, Canada 19-21 aout 2019.

  4. McGreevy, P., Christensen, J. W., Von Borstel, U. K., & McLean, A. (2018). Equitation science. John Wiley & Sons.



Pour en apprendre plus sur la fondation HELP : https://www.youtube.com/watch?v=bjs1r9Qra7k&t=289s


Le site officiel de l'ISES: https://equitationscience.com




Envie d'en savoir un peu plus sur ce qui fait qu'une méthode d'entrainement est éthique? Accédez à notre conférence en ligne "Equitation éthique: Par où commencer".


Conférence de 3 heures, divisée en modules accessibles 24/7 pendant un mois. Reconnue formation continue des entraineurs et instructeurs Cheval Québec.


8 690 vues
bottom of page